BIOGRAPHIE DU DIVIN MARQUIS Donatien-Alphonse-François, Marquis, puis Comte De SADE. Né à Paris, le 2 Juin 1740, d'une vieille et illustre famille de Provence, dont un ancêtre avait épousé Laure de Noves (immortalisée par Pétrarque). Son père, Joseph De SADE, avait été gouverneur du château de Vaison pour le pape, lieutenant général des provinces de Bresse, Bugey et Gex. Son oncle, l'abbé De SADE, vicaire général des archevêques de Toulouse et de Narbonne, publia des oeuvres de Pétrarque et des commentaires sur les troubadours. Depuis toujours, les comtes De SADE possédaient le vieux manoir féodal de la Coste, qui domine la plaine de provence dans le massif de Lubéron. N'ayant pas le temps de surveiller l'éducation de son fils, son père le confia à l'abbé De SADE. L'abbé était un homme frivole, commensal et amoureux de Mme de la Popelinière, maîtresse du maréchal de Saxe. Il donna à son pensionnaire de l'abbaye d'Ebreuil des leçons de frivolité et de galanterie qui ne furent pas gaspillées... A dix ans, le jeune garçon entra au collège Louis-le-Grand. Là encore, ses maîtres, grands partisans du fouet comme moyen de correction, éveillèrent peut-être à leur insu et au sien certaines tendances (le premier scandale auquel fut mêlé le jeune Marquis fut précisément une affaire de flagellation, ne l'oublions pas...). Au bout de quatre ans, il entra dans l'armée, où il eut une carrière brillante et honorable. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, son éducation n'avait pas été négligé ; il fut un jeune homme accompli ; il avait beaucoup lu, surtout des ouvrages d'histoire et des récits de voyage qui l' initièrent aux moeurs des étrangers :"Il était, écrit Appolinaire, bon musicien, dansait à la perfection, montait très bien à cheval, était de première force à l'escrime et s'occupa même de sculpture. Il aimait beaucoup la peinture et passait de longues heures dans les galeries de tableaux." Il parlait l'italien, composait des vers en langue provençale, était courtois, courageux et épris de liberté. De plus, élégant et fort séduisant. Entré à l'âge de quatorze ans à l'école des Chevau-Légers, il devint en 1757 cornette des carabiniers, l'année suivante capitaine au régiment de Bourgogne-Cavalerie, participa à la guerre de Sept Ans et fut réformé en 1763. Comme le note M. François-Charles, il eut la vie militaire "d'un être parfaitement normal, ami de l'ordre et des lois, partant de la décence, respectueux de la discipline, sans cela il serait difficile d'expliquer la régularité de sa carrière". * * * Rendu à la vie civile, il épousa à Paris, la Demoiselle Renée-Pélagie Cordier de Launay de Montreuil, fille d'un président à la Cour des Aides, le 17 mai 1763. C'était une jeune femme pieuse, douce, aimante et fidèle. Mais le Marquis ne l'aimait pas ; il préférait sa soeur cadette, plus mutine et effrontée ; il dut épouser l'ainée par ordre paternel, et la cadette fut mise au couvent pour plus de sûreté. De sa frigide épouse, le jeune Marquis eut un fils, Louis-Marie, qui devint officier au régiment de Soubise, émigra, revint en France comme graveur, repris du service dans l'armée impériale et mourut dans la guerre d'Espagne. Uni par contrainte à celle qu'il n'aimait pas, De SADE se lança dans la vie de débauche commune à bien des jeunes aristocrates de l'époque. Il n'était pas marié depuis quatre mois qu'on l'enfermait, on ne sait au juste pourquoi, au donjon de Vincennes. Il voulu se repentir, réclama un confesseur. Une lettre, publiée par le Dr. Cabanès, semble indiquer qu'un livre de lui fut à l'origine de son arrestation. Bientôt relâché, il continua de mener à Paris une existance assez débauchée. Les rapports de police de l'époque indiquent, sans donner la raison, qu'on dissuadait les filles d'aller "avec lui en petites maisons" (il est probable que c'était déjà un adepte de la flagellation). En même temps, néanmoins, il avait succédé à son père comme lieutenant général de Bresse, Bugey, Valromey et Gex. Il avait amené une danseuse au château de la Coste en la présentant comme son épouse. En 1767, il hérita des biens de son père, décédé. Il fut du reste un seigneur doux et humain, fort estimer de ses vasseaux, semble-t-il. En 1768, éclata le premier scandale qui livra vraiment son nom à la rumeur publique. Le 6 avril, il avait rencontré au matin, place des Victoires, une certaine Rose Keller, mi-mendiante, mi-prostituée, âgée de 36 ans. L'ayant emmené dans sa "petite maison d'Arcueil", il la déshabilla et la fouetta. Il lui donna ensuite un onguent et une collation. Elle réussit à s'enfuir et le dénonça en lui imputant des sévices fort exagérés. C'était peut-être un moyen de faire chanter le Marquis, car elle retira sa plainte, par la suite, moyennant 2.400 livres. Cette affaire crapuleuse, rapportée de différentes façons par les contemporains, et avec moult exagérations - voire des détails horrifiques qui prouvent que certains de ses ennemis, tel Restif de la Bretonne, avaient une imagination sadique très développée - valut à De SADE six mois d'incarcération à la prison Pierre-Encize de Lyon. Gracié par le roi, il revint auprès de sa fidèle épouse, dont il eut un deuxième fils (juin 1769). Il eut ensuite une fille, après être, dans l'intervalle, redevenu militaire, voire capitaine commandant à Compiègne. Après la naissance de sa fille, il accompagna la jeune mère au château de la Coste. Mais la soeur cadette, devenue chanoinesse, était du voyage, et elle perdit sa vertu au voisinnage de son ancien amoureux. Ces infidèlités étaient monnaie courante à l'époque et on aurait pu croire que le Marquis De SADE s'était rangé, quand éclata le scandale de Marseille. La légende rapporte le fait comme une orgie épouvantable :"Deux filles publiques en moururent le lendemain.", écrit l'auteur anonyme des "Fous Célèbres". D'après Bachaumont, au cours d'un bal, le DIVIN MARQUIS, comme on l'a surnommé, distribua des pastilles de chocolat contenant un aphrodisiaque violent, de là une saturnale indescriptible au cours de laquelle De SADE viola sa belle-soeur. Et naturellement " plusieurs personnes" en moururent... Les documents de police ramènent l'affaire à des proportions plus modestes. Le 27 juin 1772, le Marquis, "vêtu d'un frac gris doublé de bleu, veste et culotte de souci, épée, couteau de chasse et canne", montait avec son laquais dans la chambre de la fille Borelly, dite Mariette. Trois autres filles y étaient. Le visiteur se fit flageller et administra le fouet à son tour. Il offrit des bonbons aphrodisiaques. Personne ne mourut, mais les filles se crurent empoisonnées et portèrent plainte. Il y a loin de cette banale affaire crapuleuse à la saturnale rapportée par cette mauvaise langue de Bachaumont. Décrété de prise de corps, ainsi que son valet, le Marquis, qui était retourné au château, s'enfuit en toute hâte, accompagné de la chanoinesse ; si celle-ci avait été violé, elle y avait pris du plaisir, car elle suivait de bon coeur son terrible amant. Durant que le Marquis fuyait en Italie avec son valet Latour et sa maîtresse, les magistrats de Marseille le condamnaient à la décapitation pour empoisonnement et sodomie hétérosexuelle. Son valet était destiné à la corde. Les corps seraient brûlés. On les brûla du reste... mais en effigie seulement, sur la place des prêcheurs, à Aix. Pendant ce temps, la famille du fugitif rédigeait un mémoire, que le Dr. Cabanès a publié. Ce mémoire s'appuyait sur le rapport des experts concluant négativement sur la présence de poison dans les pastilles ainsi que dans les déjections des filles malades, et depuis parfaitement rétablies. Il insistait également sur la partialité avec laquelle les poursuites avaient été menées. * * * Cependant, le Marquis De SADE, arreté à Chambéry par la police Sarde, avait été emprisonné au château de Miolans (8 décembre 1772). La marquise De SADE, toujours fidèle, organise son évasion. Il rentre en France au château de la Coste, mais, le 14 janvier 1777, il est arrêté à Paris et conduit au donjon de Vincennes, puis transféré à Aix. Les évènements se précipitent : à Aix, un arrêt du 30 juin 1778 casse le jugement de 1772 ; une nouvelle condamnation se borne à une amende pour DEBAUCHE OUTREE et au bannissement de Marseille pour trois ans. En droit, il eût dû être rendu à la liberté, il n'en fut rien, et on le mena à Vincennes. En cours de route, la marquise De Sade assura une nouvelle fois son évasion. Il fut repris en avril 1779, incarcéré derechef à Vincennes. Cette fois, il était bel et bien prisonnier, et c'est en vain que les habitants de la Coste réclamèrent, dans une étonnante supplique, leur seigneur, bien-faiteur, protecteur et père. Le Marquis De SADE devait rester à Vincennes jusqu'en 1784. C'est dans cette prison qu'il aima, tout platoniquement de reste, une amie de sa femme, Mlle Mousset. C'est là aussi qu'il composa ses premiers ouvrages. En 1782, il écrivit sa "Pensée Inédite" et son "Dialogue Entre Un Prêtre et un Mauribond". Le 28 février 1784, il fut transféré à la bastille. On sait aujourd'hui, grâce aux documents publiés par Funck-Brentano, que la célèbre prison d'état était doté, sous l'influence des ministres philosophes, d'un régime libéral. Les prisonniers y jouissaient d'un traitement de faveur, de facilités qui contrastent singulièrement avec ce que fut longtemps la "Légende" de la Bastille. Seul le régime "politique" de notre époque peut donner une idée du régime de cette prison, dans les dernières années du XVIIème siècle, et quoique Latour ait pu écrire (et surtout, inventer...). C'est à la Bastille que le Marquis De SADE composa, de juin à juillet 1784, le premier de son livre célèbre "Justine ou les malheurs de la vertu". L'année suivante, il composa les "Cent Vingt Jours De Sodome ou L'Ecole Du Libertinage". Dont le manuscrit fut confisqué et n'a été publié, avec une savante préface, qu'en 1904, par le docteur Duehren. Le Marquis recevait dans sa prison les visites de sa femme, qui lui apportait du papier, de la bougie, des draps, des pastilles de chocolat, des livres, du vin. Du reste, il avait le droit de faire apporter du dehors, moyennant finance, tout ce qu'il désirait. Un jour, c'était un panier de fraises ; un autre jour, des fleurs. Cependant, la claustration lui pesait ; en juin 1789, il voulu fuir et fut repoussé par les sentinelles ; le 2 juillet, avec un portevoix, il cria aux passants qu'on égorgeait les prisonniers et qu'il fallait venir les délivrer. Douze jours après, c'était chose faite, mais... le Marquis n'était plus à la Bastille. On l'avait transféré le 4 juillet à Charenton. Il en sorti, libéré, le 23 mars 1790. Sa femme, retirée au couvent, ne voulut plus le revoir et obtint un jugement de séparation. Il se consola avec ses maîtresses, la présidente de Fleurieu d'abord, puis l'actrice Marie-Constance Renelle, dite Sensible, qui devint amante fidèle, dévouée. Avec la marquise et la chanoinesse, c'est une des trois femmes, pleines de douceur, qui ont embelli l'existence de l'étrange réprouvé. (Il en a eu d'autres, mais moins intéressantes...). Le Marquis De SADE se mit à faire du théâtre. Il composa, avant, pendant et après la révolution, un bon nombre de comédies, drames, vaudevilles, opéras-comiques, des comédies en vers, des comédies-féeries. Il fut joué à la Comédie-Française, au théâtre Favard, au théâtre de Bondy, etc. (Ex : La tragédie sur Jeanne Laisné (Jeanne Hachette), qui a été refusée car elle faisait l'éloge de Louis XI, Son Misanthrope par amour (réussite au théâtre Français en 1798). Le Marquis était Républicain, et pourtant cherchait en vain un meilleur emploi de ses talents. (Il avait des amis à la convention). Le Citoyen Sade était membre actif de la société populaire de la section des Piques ; il y parlait souvent. (En 1793, il fut même juré d'accusation au tribunal révolutionnaire, et sauva bien des gens, dont bcp de ses ennemis, dont ses beau-parents). Dans son "Idée sur le mode de la sanction des lois", il demande que les lois proposées par les députés soient votées par "cette partie du peuple la plus maltraitée par le sort". Il approuvait Marat comme ami de la classe populaire, mais en même temps combattait la peine de mort. Ses attaques contre la peine de mort paraissent avoir été le motif de son incarcération comme suspect, du 6 décembre 1793 à octobre 1794. Il fut relaché grâce aux démarches du député Rovère. Dès lors il ne fit plus de politique, durant plusieurs années. Son château avait été brûlé par les paysans, mais il avait dans la rue du Pot-de-fer un appartement fréquenté par des comédiens et des poètes. On y jouait de petites pièces de théâtre où le Marquis tenait les rôles d'amoureux. * * * Sous le directoire il y eut un nouveau scandale, mais politique celui-ci. Demeuré démocrate au fond du coeur, notre Marquis voyait (avec peu de plaisir) Bonaparte briguer le pouvoir et flirter avec Joséphine de Beauharnais, dont les moeurs légères étaient trop connues... C'est alors (Juillet 1800) qu'il publia lui-même, faute de trouver un éditeur indépendant, son fameux roman "Zoloé Et Ses Deux acolytes ou Quelques Décades De La Vie De Trois Jolie Femmes." Tout le monde identifia en d'Orsec, Mme Tallien, en Zoloé Mme Viscomti, en Lauréda Barras, en Volsange Tallien, en Sabar Joséphine et en Fessinot, le premier consul. Le livre n'était pas signé, mais comme la police de Bonaparte était bien renseignée, le Marquis fut arrêté le 5 mars 1801 chez son éditeur. On l'enferma à Sainte-Pélagie, puis à Bicêtre comme fou, enfin le 27 avril 1803, à Charenton, où il mourut le 2 avril 1814. Pour déguiser cette arrestation politique, le préfet de police Dubois fit un rapport disant que le Marquis avait été arrêté à la veille de publier un ouvrage "Plus affreux encore que l'infâme roman de Justine". Pur mensonge, qui s'est inséré dans la légende du Marquis. "Il est hors de conteste, écrit de Dr. Cabanès, que le Marquis De SADE a été une victime politique, et c'est pour un motif politique qu'il a été retenu pendant de longues années dans un asile de fous." C'était le seul moyen de le mettre à l'ombre en évitant une condamnation trop légère. Le Marquis invoqua vainement le Droit et la Justice : "Je suis ou non l'auteur du livre qu'on m'impute, écrivait-il au ministre ; si l'on peut me convaincre, je veux subir mon jugement ; dans le cas contraire je veux être libre. Quelle est donc cette arbitraire partialité, qui brise les fers du coupable et qui en écrase l'innocent ? Est-ce pour en arriver là que nous venons de sacrifier pendant douze ans nos vies et nos fortunes ??? Je veux être libre ou jugé, j'ai le droit de parler ainsi, mes malheurs et les lois me le donnent...". Interné à vie et sans espoir, le Marquis De SADE ne fut à Charenton ni plus ni moins heureux qu'à la Bastille. Il continua aussi d'écrire sans trèves des manuscrits qu'on lui confisquait au fur et à mesure. Il garda sa claire lucidité et son énergie jusqu'à sa dernière heure, quoi qu'il se soit laissé administrer les derniers sacrements. Ainsi vécut, éternel prisonnier, le Divin Marquis. Sa vie, dégagée des légendes qui en ont déformé la trame, apparaît comme celle d'un homme paisible, cédant parfois à des impulsions + ou - perverses (quoique...) mais exagérées par la rumeur publique. En réalité, on lui a supposé les moeurs de ses héros de romans. Mais ses romans ont été pour lui un moyen d'extérioriser et de Sublimer ses impulsions "violentes". par Eisenfaust AMIENS 1992