(II)
Règlements
On se lèvera tous les jours à dix heures du matin. A ce
moment, les quatre fouteurs qui n'auront pas été de service
pendant la nuit viendront rendre visite aux amis et amèneront chacun
avec eux un petit garçon; ils passeront successivement d'une chambre
à l'autre. Eux agiront au gré et aux désirs des amis, mais
dans les commencements les petits garçons qu'ils amèneront ne
seront que pour la perspective, car il est décidé et
arrangé que les huit pucelages des cons des jeunes filles ne seront
enlevés que dans le mois de décembre, et ceux de leurs culs,
ainsi que deux des culs des huit jeunes garçons, ne le seront que dans
le cours de janvier, et cela afin de laisser irriter la volupté par
l'accroissement d'un désir sans cesse enflammé et jamais
satisfait, état qui doit nécessairement conduire à une
certaine fureur lubrique que les amis travaillent à provoquer comme une
des situations les plus délicieuses de la lubricité.
A onze heures, les amis se rendront dans l'appartement des jeunes filles.
C'est là que sera servi le déjeuner, consistant en chocolat ou en
rôties au vin d'Espagne, ou autres confortatifs restaurants. Ce
déjeuner sera servi par les huit filles nues, aidées des deux
vieilles Marie et Louison, que l'on affecte au sérail des filles, les
deux autres devant l'être à celui des garçons. Si les amis
ont envie de commettre des impudicités avec les filles pendant ce
déjeuner, avant ou après, elles s'y prêteront avec la
résignation qui leur est enjointe et à laquelle elles ne
manqueraient pas sans une dure punition. Mais on convient qu'il ne sera point
fait de parties secrètes et particulières à ce
moment-là, et que si l'on veut paillarder un instant, ce sera entre soi
et devant tout ce qui assistera au déjeuner. Les filles auront pour
coutume générale de se mettre toujours à genoux chaque
fois qu'elles verront ou rencontreront un ami, et elles y resteront
jusqu'à ce qu'on leur dise de se relever. Elles seules, les
épouses et les vieilles seront soumises à ces lois. On en
dispense tout le reste, mais tout le monde sera tenu à n'appeler jamais
que monseigneur chacun des amis.
Avant de sortir de la chambre des filles, celui des amis chargé de la
tenue du mois (l'intention étant que chaque mois un ami ait le
détail de tout et que chacun y passe à son tour dans l'ordre
suivant, savoir: Durcet pendant novembre, l'évêque pendant
décembre, le président pendant janvier et le duc pendant
février), celui donc des amis qui sera de mois, avant de sortir de
l'appartement des filles, les examinera toutes les unes après es autres,
pour voir si elles sont dans l'état où il leur aura
été enjoint de se tenir, ce qui sera signifié chaque matin
aux vieilles et réglé sur le besoin que l'on aura de les tenir en
tel ou tel état. Comme il est sévèrement défendu
d'aller à la garde-robe ailleurs que dans la chapelle, qui a
été arrangée et destinée pour cela, et
défendu d'y aller sans une permission particulière, laquelle est
souvent refusée, et pour cause, l'ami qui sera de mois examinera avec
soin, sitôt après le déjeuner, toutes les garde-robes
particulières des filles, et dans l'un ou l'autre cas de contravention
aux deux objets ci-dessus désignés, la délinquante sera
condamnée à peine afflictive.
On passera de là dans l'appartement des garçons, afin d'y faire
les mêmes visites et de condamner également les délinquants
à peine capitale. Les quatre petits garçons qui n'auront point
été le matin chez les amis les recevront cette fois-là,
quand ils viendront dans leur chambre, et ils se déculotteront devant
eux; les quatre autres se tiendront debout sans rien faire et attendront les
ordres qui leur seront donnés. Messieurs paillarderont ou non avec ces
quatre qu'ils n'auront point encore vus de la journée, mais ce qu'ils
feront sera en public: point de tête-à-tête à ces
heures-là. A une heure, ceux ou celles des filles ou des garçons,
tant grands que petits, qui auront obtenu la permission d'aller à des
besoins pressés, c'est-à-dire aux gros (et cette permission ne
s'accordera jamais que très difficilement et à un tiers au plus
des sujets), ceux-là, dis je, se rendront à la chapelle où
tout a été artistement disposé pour les voluptés
analogues à ce genre-là. Ils y trouveront les quatre amis qui les
attendront jusqu'à deux heures, et jamais plus tard, et qui les
disposeront, comme ils le jugeront convenable aux voluptés de ce genre
qu'ils auront envie de se passer. De deux à trois, on servira les deux
premières tables qui dîneront à la même heure, l'une
dans le grand appartement des filles, l'autre dans celui des petits
garçons. Ce seront les trois servantes de la cuisine qui serviront ces
deux tables. La première sera composée des huit petites filles et
des quatre vieilles; la seconde des quatre épouses, des huit petits
garçons et des quatre historiennes. Pendant ce dîner, messieurs se
rendront dans le salon de compagnie où ils jaseront ensemble
jusqu'à trois heures. Peu avant cette heure, les huit fouteurs
paraîtront dans cette salle le plus ajustés et le plus
parés qu'il se pourra. A trois heures on servira le dîner des
maîtres, et les huit fouteurs seront les seuls qui jouiront de l'honneur
d'y être admis. Ce dîner sera servi par les quatre épouses
toutes nues, aidées des quatre vieilles vêtues en magiciennes. Ce
seront elles qui sortiront les plats des tours où les servantes les
apporteront en dehors et qui les remettront aux épouses qui les poseront
sur la table. Les huit fouteurs, pendant le repas, pourront commettre sur les
corps nus des épouses tous les attouchements qu'ils voudront, sans que
celles-ci puissent ou s'y refuser ou s'en défendre; ils pourront
même aller jusqu'aux insultes et s'en faire servir la verge haute, en les
apostrophant de toutes les invectives que bon leur semblera.
On sortira de table à cinq heures. Alors, les quatre amis seulement
(les fouteurs se retireront jusqu'à l'heure de l'assemblée
générale), les quatre amis, dis-je, passeront dans le salon,
où de petits garçons et deux petites filles, qui se varieront
tous les jours, leur serviront nus du café et des liqueurs. Ce ne sera
point encore là le moment où l'on pourra se permettre des
voluptés qui puissent énerver; il faudra encore s'en tenir au
simple badinage. Un peu avant six heures, les quatre enfants qui viendront de
servir se retireront pour aller s'habiller promptement. A six heures
précises, messieurs passeront dans le grand cabinet destiné aux
narrations et qui a été dépeint plus haut. Ils se
placeront chacun dans leurs niches, et tel sera l'ordre observé pour le
reste: sur le trône dont on a parlé sera l'historienne; les
gradins du bas de son trône seront garnis de seize enfants,
arrangés de manière à ce que quatre, c'est-à-dire
deux filles et deux garçons, se trouvent faire face à une des
niches; ainsi de suite, chaque niche aura un pareil quatrain vis-à-vis
d'elle: ce quatrain sera spécialement affecté à la niche
devant laquelle il sera, sans que la niche d'à côté puisse
former des prétentions sur lui; et ces quatrains seront
diversifiés tous les jours, jamais la même niche n'aura le
même. Chaque enfant du quatrain aura une chaîne de fleurs
artificielles au bras qui répondra dans la niche, en sorte que, lorsque
le propriétaire de la niche voudra tel ou tel enfant de son quatrain, il
n'aura qu'à tirer à lui la guirlande, et l'enfant accourra se
jeter vers lui. Au-dessus du quatrain, sera une vieille attachée au
quatrain, et aux ordres du chef de la niche de ce quatrain. Les trois
historiennes qui ne seront point de mois seront assises sur une banquette, au
pied du trône, sans être affectées à rien, et
néanmoins aux ordres de tout le monde. Les quatre fouteurs qui seront
destinés à passer la nuit avec les amis pourront s'abstenir de
l'assemblée; ils seront dans leurs chambres occupés à se
préparer à cette nuit qui demande toujours des exploits. A
l'égard des quatre autres, ils seront chacun aux pieds d'un des amis
dans leurs niches, sur le sofa desquelles sera placé l'ami à
côté d'une des épouses à tour de rôle. Cette
épouse sera toujours nue; le fouteur sera en gilet et caleçon de
taffetas couleur de rose; l'historienne de mois sera vêtue en courtisane
élégante ainsi que ses trois compagnes; et les petits
garçons et les petites filles des quatrains seront toujours
différemment et élégamment costumés, un quatrain
à l'asiatique, un à l'espagnole, un autre à la turque, un
quatrième à la grecque, et le lendemain autre chose, mais tous
ces vêtements seront de taffetas et de gaze: jamais le bas du corps ne
sera serré par rien et une épingle détachée suffira
pour les mettre nus. A l'égard des vieilles, elles seront
alternativement en soeurs grises, en religieuses, en fées, en
magiciennes et quelquefois en veuves. Les portes des cabinets attenant les
niches seront toujours entrouvertes, et le cabinet, très
échauffé par des poêles de communication, garni de tous les
meubles nécessaires aux différentes débauches. Quatre
bougies brûleront dans chacun de ces cabinets et cinquante dans le salon.
A six heures précises, l'historienne commencera sa narration, que les
amis pourront interrompre à tous les instants que bon leur semblera.
Cette narration dure jusqu'à dix heures du soir et pendant ce
temps-là, comme son objet est d'enflammer l'imagination, toutes les
lubricités seront permises, excepté néanmoins celles qui
porteraient atteinte à l'ordre de l'arrangement pris pour les
déflorations lequel sera toujours exactement conservé. Mais on
fera du reste tout ce qu'on voudra avec son fouteur, l'épouse, le
quatrain et la vieille du quatrain, et même avec les historiennes, si la
fantaisie en prend, et cela, ou dans sa niche, ou dans le cabinet qui en
dépend. La narration sera suspendue tant que dureront les plaisirs de
celui dont le besoins l'interrompent, et on la reprendra quand il aura fini.
A dix heures, on servira le souper. Les épouses, les historiennes et
les huit petites filles iront promptement souper entre elles et à part;
jamais les femmes n'étant admises au souper des hommes, et les amis
souperont avec les quatre fouteurs qui ne seront pas du service de nuit et
quatre petits garçons. Les quatre autres serviront, aidés des
vieilles. En sortant du souper, on passera dans le salon d'assemblée
pour la célébration de ce qu'on appelle les orgies. Là,
tout le monde se retrouvera, et ceux qui auront soupé à part, et
ceux qui auront soupé avec les amis, mais toujours excepté les
quatre fouteurs du service de nuit. Le salon sera singulièrement
échauffé et éclairé par des lustres. Là,
tout sera nu: historiennes, épouses, jeunes filles, jeunes
garçons, vieilles, fouteurs, amis, tout sera pêle-mêle, tout
sera vautré sur des carreaux, par terre, et, à l'exemple des
animaux, on changera, on se mêlera, on incestera, on adultérera,
on sodomisera et, toujours excepté les déflorations, on se
livrera à tous les excès et à toutes les débauches
qui pourront le mieux échauffer les têtes. Quand ces
déflorations devront se faire, tel sera le moment où l'on y
procédera, et une fois qu'un enfant sera défloré, on
pourra jouir de lui, quand et de quelle manière que l'on le voudra. A
deux heures précises du matin, les orgies cesseront. Les quatre fouteurs
destinés au service de nuit viendront dans d'élégants
déshabillés chercher chacun l'ami avec lequel il devra coucher,
lequel amènera avec lui une des épouses, ou un des sujets
déflorés, quand ils le seront, ou une historienne, ou une
vieille, pour passer la nuit entre elle et son fouteur, et le tout à son
gré et seulement avec la clause de se soumettre à des
arrangements sages et d'où il puisse résulter que chacun change
toutes les nuits ou le puisse faire.
Tel sera l'ordre et l'arrangement de chaque journée.
Indépendamment de cela, chacune des dix-sept semaines que doit durer le
séjour au château sera marquée par une fête. Ce sera
d'abord des mariages: il en sera rendu compte en temps et lieu. Mais comme les
premiers de ces mariages se feront entre les plus jeunes enfants et qu'ils ne
pourront pas les consommer, ils ne dérangeront rien à l'ordre
établi pour les déflorations. Les mariages entre grands ne se
faisant qu'après les déflorations, leur consommation ne nuira
à rien puisque, agissant, ils ne jouiront que de ce qui sera
déjà cueilli.
Les quatre vieilles répondront de la conduite des quatre enfants. Quand
ils feront des fautes, elles se plaindront à celui des amis qui sera de
mois, et on procédera en commun aux corrections tous les samedis au
soir, à l'heure des orgies. Il s'en tiendra liste exacte
jusque-là. A l'égard des fautes commises par les historiennes,
elles seront punies à moitié de celles des enfants, parce que
leur talent sert et qu'il faut toujours respecter les talents. Quant à
celles des épouses ou des vieilles, elles seront toujours doubles de
celles des enfants. Tout sujet qui fera quelque refus de choses qui lui seront
demandées, même en étant dans l'impossibilité, sera
très sévèrement puni: c'était à lui de
prévoir et de prendre ses précautions. Le moindre rire, ou le
moindre manque d'attention, ou de respect et de soumission, dans les parties de
débauche, sera une des fautes les plus graves et les plus cruellement
punies. Tout homme pris en flagrant délit avec une femme sera puni de la
perte d'un membre, quand il n'aura pas reçu l'autorisation de jouir de
cette femme. Le plus petit acte de religion de la part d'un des sujets, quel
qu'il puisse être, sera puni de mort. Il est expressément enjoint
aux amis de n'employer dans toutes les assemblées que les propos les
plus lascifs, les plus débauchés et les expressions les plus
sales, les plus fortes et les plus blasphématoires. Le nom de Dieu n'y
sera jamais prononcé qu'accompagné d'invectives ou
d'imprécations, et on le répétera le plus souvent
possible. A l'égard de leur ton, il sera toujours le plus brutal, le
plus dur et le plus impérieux avec les femmes et les petits
garçons, mais soumis, putain et dépravé avec les hommes,
que les amis, en jouant avec eux le rôle de femmes, doivent regarder
comme leurs maris. Celui des messieurs qui manquera à toutes ces choses,
ou qui s'avisera d'avoir une seule lueur de raison et surtout de passer un seul
jour sans se coucher ivre, payera dix mille francs d'amende.
Quand un ami aura quelque gros besoin, une femme, dans celle des classes qu'il
jugera à propos, sera tenue de l'accompagner pour vaquer aux soins qui
lui seront indiqués pendant cet acte-là. Aucun des sujets soit
hommes, soit femmes, ne pourra remplir de devoirs de propreté quels
qu'ils puissent être, et surtout ceux après le gros besoin, sans
une permission expresse de l'ami qui sera de mois, et si elle lui est
refusée et qu'il les remplisse malgré cela, sa punition sera des
plus rudes. Les quatre épouses n'auront aucune sorte de
prérogative sur les autres femmes; au contraire, elles seront toujours
traitées avec plus de rigueur et d'inhumanité, et elles seront
très souvent employées aux ouvrages les plus vils et les plus
pénibles, tels, par exemple, que le nettoiement des garde-robes communes
et particulières établies à la chapelle. Ces garde-robes
ne seront vidées que tous les huit jours, mais ce sera toujours par
elles, et elles seront rigoureusement punies si elles y résistent ou le
remplissent mal.
Si un sujet quelconque entreprend une évasion pendant la tenue de
l'assemblée, il sera à l'instant puni de mort, quel qu'il puisse
être.
Les cuisinières et leurs aides seront respectées, et ceux des
messieurs qui enfreindront cette loi payeront mille louis d'amende. Quant
à ces amendes, elles seront toutes spécialement employées,
au retour en France, à commencer les frais d'une nouvelle partie ou dans
le genre de celle-ci, ou dans un autre.
Ces soins remplis et règlements promulgués le trente dans la
journée, le duc passa la matinée du trente et un à tout
vérifier, à faire faire des répétitions du tout et
sur tout à examiner avec soin la place, pour voir si elle n'était
pas susceptible, ou d'être assaillie, ou de favoriser quelque
évasion. Ayant reconnu qu'il faudrait être oiseau ou diable pour
en sortir ou y entrer, il rendit compte à la société de sa
commission, et passa la soirée du trente et un à haranguer les
femmes. Elles s'assemblèrent toutes par son ordre dans le salon aux
narrations, et, étant monté sur la tribune ou l'espèce de
trône destiné à l'historienne, voici à peu
près le discours qu'il leur tint:
"Etres faibles et enchaînés, uniquement destinés à
nos plaisirs, vous ne vous êtes pas flattés, j'espère, que
cet empire aussi ridicule qu'absolu que l'on vous laisse dans le monde vous
serait accordé dans ces lieux. Mille fois plus soumises que ne le
seraient des esclaves, vous ne devez vous attendre qu'à l'humiliation,
et l'obéissance doit être la seule vertu dont je vous conseille de
faire usage: c'est la seule qui convienne à l'état où vous
êtes. Ne vous avisez pas surtout de faire aucun fond sur vos charmes.
Trop blasés sur de tels pièges, vous devez bien imaginer que ce
ne serait avec nous que ces amorces-là pourraient réussir.
Souvenez-vous sans cesse que nous nous servirons de vous toutes, mais que pas
une seule ne doit se flatter de pouvoir seulement nous inspirer le sentiment de
la pitié. Indignés contre les autels qui ont pu nous arracher
quelques grains d'encens, notre fierté et notre libertinage les brisent
dès que l'illusion a satisfait les sens, et le mépris presque
toujours suivi de la haine remplace à l'instant dans nous le prestige de
l'imagination. Qu'offrirez-vous d'ailleurs que nous ne sachions par coeur?
qu'offrirez-vous que nous ne foulions aux pieds, souvent même à
l'instant du délire? il est inutile de vous le cacher, votre service
sera rude, il sera pénible et rigoureux, et les moindres fautes seront
à l'instant punies de peines corporelles et afflictives. Je dois donc
vous recommander de l'exactitude, de la soumission et une abnégation
totale de vous-même pour n'écouter que nos désirs: qu'ils
fassent vos uniques lois, volez au-devant d'eux, prévenez-les et
faites-les naître. Non pas que vous ayez beaucoup à gagner
à cette conduite, mais seulement parce que vous auriez beaucoup à
perdre en ne l'observant pas. Examinez votre situation, ce que vous êtes,
ce que nous sommes, et que ces réflexions vous fassent frémir.
Vous voilà hors de France, au fond d'une forêt inhabitable,
au-delà de montagnes escarpées dont les passages ont
été rompus aussitôt après que vous les avez eu
franchis. Vous êtes enfermées dans une citadelle
impénétrable; qui que ce soit ne vous y sait; vous êtes
soustraites à vos amis, à vos parents, vous êtes
déjà mortes au monde et ce n'est plus que pour nos plaisirs que
vous respirez. Et quels sont les êtres à qui vous voilà
maintenant subordonnées? Des scélérats profonds et
reconnus, qui n'ont de dieu que leur lubricité, de lois que leur
dépravation; de frein que leur débauche, des roués sans
dieu, sans principes, sans religion, dont le moins criminel est souillé
de plus d'infamies que vous ne pourriez les nombrer et aux yeux de qui la vie
d'une femme, que dis-je, d'une femme? de toutes celles qui habitent la surface
du globe, est aussi indifférente que la destruction d'une mouche. Il
sera peu d'excès, sans doute, où nous ne nous portions: qu'aucun
ne vous répugne, prêtez-vous sans sourciller et opposez à
tous la patience, la soumission et le courage. Si malheureusement quelqu'une
d'entre vous succombe à l'intempérie de nos passions, qu'elle
prenne bravement son parti; nous ne sommes pas dans ce monde pour toujours
exister, et ce qui peut arriver de plus heureux à une femme, c'est de
mourir jeune. On vous a lu des règlements fort sages, et très
propres et à votre sûreté et à nos plaisirs;
écoutez-les aveuglément, et attendez-vous à tout de notre
part si vous nous irritez par une mauvaise conduite: Quelques-unes d'entre vous
avez avec nous des liens, je le sais, qui vous enorgueillissent peut-être
et desquels vous espérez de l'indulgence. Vous seriez dans une grande
erreur si vous y comptiez: nul lien n'est sacré aux yeux de gens tels
que nous, et plus ils vous paraîtront tels, plus leur rupture
chatouillera la perversité de nos âmes. Filles, épouses,
c'est donc à vous que je m'adresse en ce moment, ne vous attendez
à aucune prérogative de notre part; nous vous avertissons que
vous serez traitées même avec plus de rigueur que les autres, et
cela précisément pour vous faire voir combien sont
méprisables à nos yeux les liens dont vous nous croyez
peut-être enchaînés. Au reste, ne vous attendez pas que nous
vous spécifierons toujours les ordres que nous voudrons vous faire
exécuter: un geste, un coup d'oeil, souvent un simple sentiment interne
notre part, vous les signifiera, et vous serez aussi punies de ne les avoir pas
devinés et prévenus que si, après vous avoir
été notifiés, ils eussent éprouvé une
désobéissance de votre part. C'est à vous de
démêler nos mouvements, nos regards, nos gestes, d'en
démêler l'expression, et surtout de ne pas vous tromper à
nos désirs. Car je suppose, par exemple, que ce désir fût
de voir une partie de votre corps et que vous vinssiez maladroitement à
offrir l'autre: vous sentez à quel point une telle méprise
dérangerait notre imagination et tout ce qu'on risque à refroidir
la tête d'un libertin qui, je le suppose, n'attendrait qu'un cul pour sa
décharge et auquel on viendrait imbécilement présenter un
con. En général, offrez-vous toujours très peu par-devant;
souvenez-vous que cette partie infecte que la nature ne forma qu'en
déraisonnant est toujours celle qui nous répugne le plus. Et
relativement à vos culs mêmes y a-t-il encore des
précautions à garder, tant pour dissimuler, en l'offrant, l'antre
odieux qui l'accompagne, que pour éviter de nous faire voir dans de
certains moments ce cul dans un certain état où d'autres gens
désireraient de le trouver toujours. Vous devez m'entendre, et vous
recevrez d'ailleurs de la part des quatre duègnes des instructions
ultérieures qui achèveront de vous expliquer tout. En un mot,
frémissez, devinez, obéissez, prévenez, et avec cela, si
vous n'êtes pas au moins très fortunées, peut-être ne
serez-vous pas tout à fait malheureuses. D'ailleurs point d'intrigues
entre vous, nulle liaison, point de cette imbécile amitié de
filles qui, en amollissant d'un côté le coeur, le rend de l'autre
et plus revêche et moins disposé à la seule et simple
humiliation où nous vous destinons. Songez que ce n'est point du tout
comme des créatures humaines que nous vous regardons, mais uniquement
comme des animaux que l'on nourrit pour le service qu'on en espère et
qu'on écrase de coups quand ils se refusent à ce service. Vous
avez vu à quel point on vous défend tout ce qui peut avoir l'air
d'un acte de religion quelconque; je vous préviens qu'il y aura peu de
crimes plus sévèrement punis que celui-là. On ne sait que
trop qu'il est encore parmi vous quelques imbéciles qui ne peuvent pas
prendre sur elles d'abjurer l'idée de cet infâme dieu et d'en
abhorrer la religion: celles-là seront soigneusement examinées,
je ne vous le cache pas, et il n'y aura point d'extrémités
où l'on ne se porte envers elles, si malheureusement on les prend sur le
fait. Qu'elles se persuadent, ces sottes créatures, qu'elles se
convainquent donc que l'existence de Dieu est une folie qui n'a pas sur toute
la terre vingt sectateurs aujourd'hui, et que la religion qu'il invoque n'est
qu'une fable ridiculement inventée par des fourbes dont
l'intérêt à nous tromper n'est que trop visible à
présent. En un mot, décidez vous-mêmes: s'il y avait un
dieu, et que ce dieu eût de la puissance, permettrait-il que la vertu qui
l'honore et dont vous faites profession fût sacrifiée comme elle
va l'être au vice et au libertinage? Permettrait-il, ce dieu
tout-puissant, qu'une faible créature comme moi, qui ne serait
vis-à-vis de lui que ce qu'est un ciron aux yeux de
l'éléphant, permettrait-il, dis-je, que cette faible
créature l'insultât, le bafouât, le défiât, le
bravât et l'offensât, comme je fais à plaisir à
chaque instant de la journée?"
Ce petit sermon fait, le duc descendit de chaire et, excepté les quatre
vieilles et les quatre historiennes qui savaient bien qu'elles étaient
là plutôt comme sacrificatrices et prêtresses que comme
victimes, excepté ces huit-là, dis-je, tout le reste fondait en
larmes, et le duc, s'en embarrassant fort peu, les laissa conjecturer, jaboter,
se plaindre entre elles, bien sûr que les huit espionnes rendraient bon
compte de tout, en fut passer la nuit avec Hercule, l'un de la troupe des
fouteurs qui était devenu son plus intime favori comme amant, le petit
Zéphire ayant toujours comme maîtresse la première place
dans son coeur. Le lendemain devant retrouver, dès le matin, les choses
sur le pied d'arrangement où elles avaient été mises,
chacun s'arrangea de même pour la nuit, et dès que dix heures du
matin sonnèrent, la scène de libertinage s'ouvrit, pour ne plus
se déranger en rien, ni sur rien de tout ce qui avait été
prescrit jusqu'au vingt-huit de février inclus.
C'est maintenant, ami lecteur, qu'il faut disposer ton coeur et ton esprit au
récit le plus impur qui ait jamais été fait depuis que le
monde existe, le pareil livre ne se rencontrant ni chez les anciens ni chez les
modernes. Imagine-toi que toute jouissance honnête ou prescrite par cette
bête dont tu parles sans cesse sans la connaître et que tu appelles
nature, que ces jouissances, dis-je, seront expressément exclues de ce
recueil et que lorsque tu les rencontreras par aventure, ce ne sera jamais
qu'autant qu'elles seront accompagnées de quelque crime ou
colorées de quelque infamie. Sans doute, beaucoup de tous les
écarts que tu vas voir peints te déplairont, on le sait, mais il
s'en trouvera quelques-uns qui t'échaufferont au point de te
coûter du foutre, et voilà tout ce qu'il nous faut. Si nous
n'avions pas tout dit, tout analysé, comment voudrais-tu que nous
eussions pu deviner ce qui te convient. C'est à toi à la prendre
et à laisser le reste; un autre en fera autant; et petit à petit
tout aura trouvé sa place. C'est ici l'histoire d'un magnifique repas
où six cents plats divers s'offrent à ton appétit. Les
manges-tu tous? Non, sans doute, mais ce nombre prodigieux étend les
bornes de ton choix, et, ravi de cette augmentation de facultés, tu ne
t'avises pas de gronder l'amphitryon qui te régale. Fais de même
ici: choisis et laisse le reste, sans déclamer contre ce reste,
uniquement parce qu'il n'a pas le talent de te plaire. Songe qu'il plaira
à d'autres, et sois philosophe. Quant à la diversité, sois
assuré qu'elle est exacte; étudie bien celle des passions qui te
paraît ressembler sans nulle différence à une autre, et tu
verras que cette différence existe et, quelque légère
qu'elle soit, qu'elle a seule précisément ce raffinement, ce
tact, qui distingue et caractérise le genre de libertinage dont il est
ici question. Au reste, on a fondu ces six cents passions dans le récit
des historiennes: c'est encore une chose dont il faut que le lecteur soit
prévenu. Il aurait été trop monotone de les
détailler autrement et une à une, sans les faire entrer dans un
corps de récit. Mais comme quelque lecteur, peu au fait de ces sortes de
matières, pourrait peut-être confondre les passions
désignées avec l'aventure ou l'événement simple de
la vie de la conteuse, on a distingué avec soin chacune de ces passions
par un trait en marge, au-dessus duquel est le nom qu'on peut donner à
cette passion. Ce trait est à la ligne juste où commence le
récit de cette passion, et il y a toujours un alinéa où
elle finit. Mais comme il y a beaucoup de personnages en action dans cette
espèce de drame, malgré l'attention qu'on a eu dans cette
introduction de les peindre et de les désigner tous, on va placer une
table qui contiendra le nom et l'âge de chaque acteur, avec une
légère esquisse de son portrait. A mesure que l'on rencontrera un
nom qui embarrassera dans les récits, on pourra recourir à cette
table et, plus haut, aux portraits étendus, si cette
légère esquisse ne suffit pas à rappeler ce qui aura
été dit.